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Philippe Carbasse

Parole d'acteur #27 - Philippe Carbasse (UNADEL) : “Le territoire est la bonne échelle pour agir sur les précarités et sur la transition juste”

© Crédit Photo Philippe Carbasse
Publié le 01/12/2025
Temps de lecture : 10 min
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Philippe Carbasse est chargé de mission au sein de l’Union Nationale des Acteurs du DEveloppement Local (UNADEL). Il partage avec nous sa vision des précarités sous l’angle des transitions territoriales, fruit d’un long travail d’écoute, d’observation et de dialogue avec des réseaux associatifs, des chercheurs et des territoires soucieux d’incarner la transition écologique sans renoncer à la justice sociale.

Philippe, tu travailles depuis de nombreuses années auprès des territoires, des actrices et des acteurs du développement local. Selon toi, comment la question des précarités est-elle prise en compte dans le champ du développement local?

La question des précarités et des vulnérabilités n’est pas absente du champ du développement local, bien au contraire : considérant que le développement local est toujours axé sur une dynamique globale, la question sociale a toujours été présente au cœur du développement local. Les démarches de développement local ont inspiré des approches du développement plus axées sur la dimension sociale, la solidarité, tel que le développement social urbain ou encore pour les travailleurs sociaux le MDSL ( Mouvement du développement social local).

Finalement, la décentralisation des années 1980 a entraîné des politiques publiques locales très sectorisées, et il est parfois encore difficile de sortir de ce cloisonnement. Il est important de souligner que travailler sur un projet de territoire et son attractivité n'est pas incompatible avec la prise en compte des questions de précarité. Nous observons de nombreuses dynamiques à l'échelle locale qui intègrent la dimension sociale.

Cette intensification de la prise en compte des précarités est-elle liée aux transitions en œuvre sur les territoires?

Nous constatons que le paysage global évolue : la transition juste entre dans le débat public à la suite de ce qu’on a appelé la crise des gilets jaunes et la crise énergétique, depuis la fin des années 2010. Les acteurs à l’échelle nationale se positionnent depuis sur ce sujet (Pacte des solidarités, Politique de la Ville, convention CNAF- Etat,...). En complément, deux rapports produits en 2024, par deux instances nationales distinctes, formulent des recommandations pour mieux articuler la nécessaire transition écologique avec les objectifs essentiels de lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales (rapport du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale - CNLE et rapport de l’Inspection générale des affaires sociales  - IGAS).

Avec l’UNADEL, nous observons des tendances convergentes. Du côté des agents de développement local, qui s’inscrivent dans un renouvellement des modes de faire avec la transition écologique, il y a cette volonté de vision globale qui intègre tous les sujets. Dans le même temps, les acteurs sociaux des territoires se sont saisis de cette transition pour dynamiser leur approche sociale. C’est ce qui se voit dans différents projets : des ressourceries, des jardins communautaires, des cantines solidaires, mobilités inclusives et solidaires, etc.

Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a une certaine réciprocité qui se met en place : les politiques sociales - qu’elles soient locales ou nationales - se saisissent de la question écologique pour retrouver le sens premier de leurs actions, à savoir la lutte contre les inégalités,, et inversement, dans les politiques de transition écologique, il y a l’intégration d’enjeux sociaux, comme nous en faisons le constat dans la planification écologique menée à l’échelle nationale et dans la déclinaison dans les COP régionales ou encore avec la mise en place d’une direction de la transition juste au sein de l’ADEME.

Cette reconnaissance de la prise en compte des précarités dans la sphère des transitions vient conforter des dynamiques locales qui existaient déjà, mais leur donne une dimension plus conséquente (on peut citer des territoires avancés : les départements de la Haute-Garonne, de la Gironde, de la Seine-Saint-Denis, la Ville de Grenoble,...). L’économie sociale et solidaire y jouait également un rôle fort. Par exemple, avec le dispositif Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée, l’enjeu premier est l’emploi. Mais 60 à 70% des actions de ces expérimentations sont en lien avec la transition écologique. Nous pouvons également citer les Projets Alimentaires Territoriaux, qui voient leur volet social fortement investi pour un accès à une alimentation de qualité alors que ce n’était pas forcément ce qui était le plus mis en avant au démarrage de ces démarches il y a 10 ans.

A l’échelle locale, les questions d’alimentation, de mobilités durables et solidaires, notamment dans les territoires ruraux, d’économie du partage sont les plus dynamiques.

Tu sembles dire que la transition juste se construit avant tout à l’échelle des territoires. Pourquoi cette échelle est-elle si déterminante ?

Le territoire est forcément la bonne échelle pour agir sur la transition écologique comme sur la transition juste.

Dans l’approche territoriale, nous identifions trois leviers pour agir.

Le premier levier, c’est le diagnostic, qui constitue une étape qui ne doit pas être négligée. Le diagnostic des vulnérabilités peut même constituer un élément déclencheur (reconnaissance et qualification des vulnérabilités). En partant des impacts du changement climatique, on a une vraie vision des incidences sur la précarité des populations. Ce focus va permettre ensuite de développer les réponses adéquates.

Le deuxième levier, c’est la sensibilisation à la transition juste, et cela est valable pour les acteurs du social comme pour ceux de la transition écologique. Il existe un déficit de compréhension de la notion et des enjeux qui lui sont liés.

Enfin, le troisième levier, c’est la valorisation et le soutien des actions qui concerne la transition juste. Les initiatives doivent être reconnues, valorisées et partagées (voir les  exemples des expériences de sécurité sociale alimentaire).

Pour illustrer ce propos, je pense à la démarche engagée par le département du Lot : à partir du diagnostic mené avec l’appui du CEREMA, a été élaborée une fresque des vulnérabilités, véritable outil de sensibilisation et de partage avec les acteurs.

Comment définir alors la notion de transition juste?

Il faut reprendre la définition que fait l’ADEME de la notion. Dans un avis publié en 2024, l’ADEME rappelle que la notion de transition juste est apparue au début des années 1990, aux États-Unis, dans les milieux syndicaux, pour incarner la nécessaire prise en considération des impacts collatéraux des mutations économiques induites par les transitions sur les travailleurs (l’exemple le plus cité est la fermeture d’une unité de production liée à la décarbonation de l’activité qui entraîne des pertes d’emplois). La transition juste traduit alors la nécessaire complémentarité des enjeux sociaux et écologiques. Plusieurs évolutions de la notion conduisent l’ADEME à une définition en trois points :

  • La transition juste accompagne la cessation ou la mutation des activités brunes et le développement des activités vertes,
  • tout en tenant compte des vulnérabilités propres aux différentes composantes de nos sociétés et de nos économies
  • et qui soit élaborée le plus démocratiquement possible par l’ensemble des parties prenantes, dont les citoyens, les ONG, les syndicats, les entreprises et les collectivités, aux différentes échelles territoriales.

L’avantage de cette approche, c’est qu’elle retient un sens élargi des vulnérabilités. Les mutations en œuvre sont complexes, là on est dans le “dur” de la transition, il y a des vraies problématiques sociales quand il faut transformer l’appareil de production. La transition juste, c’est être capable d’anticiper ces transformations, qu’il s’agisse de l’adaptation aux effets du changement climatique ou de la décarbonation. A défaut, ces transformations vont entraîner encore plus de précarités et de difficultés sociales, et on le sait, les plus précaires sont ceux qui subissent le plus.

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